
4 personnes ont connu un épisode « rue » dans mon seul bâtiment.
Je suis estomaquée !
4 personnes sur une trentaine de locataires, cela fait 8% !
Et c’est à minima. Pour connaître le chiffre exact, il faudrait mener l’enquête, et encore, avec beaucoup, beaucoup d’humanité.
Vous savez pourquoi ?
Parce que ces gens ont tellement HONTE, qu’ils se cachent, y inclus de leurs amis. Inutile de compter sur les "statistiques" pour en rendre compte, donc...
Inutile de leur balancer les « amabilités » du genre* (légion sur les forums ») : « ce sont des assistés », « ce sont des fainéants », « s’ils n’étaient pas assistés, ils travailleraient », « ce sont des moins que rien », « ils on un problème « psy » à la base » (discours dominant des travailleurs sociaux, observé à l’occasion d’une enquête de terrain menée il y a quelques années dans un accueil de jour). Ils les ont tellement intégrées, qu’ils se cachent !
Vu ce que je viens de découvrir sur ce « terrain informel » qu’est ma résidence, il me paraît "raisonnable", d'arrondir un tout petit peu le chiffre à une personne sur 10. En faisant une "projection" cela donne :
En 2009, 1 personne sur 10 a connu en France un épisode « rue ».
Alors êtes vous sûr de n’en pas connaître ? Soyez attentifs, observez, écoutez. Combien en connaissez vous qui retournent chez leurs parents, qui se réfugient chez leurs enfants ou chez leur « ex », ou qui se retrouvent, à tous âges en "colocation"...? Ne nous leurrons pas, bien que plus "confortables" à observer, ces "solidarités" forcées ne peuvent décemment pas occulter ce qui est devenu un véritable problème de société. Ce que Jeudi Noir et Emmaüs ne cessent d'ailleurs de rappeler).
Faisons sauter les "préjugés" ambiants en décrivant brièvement mes exemples in situ.
Une retraitée me confie qu’elle a passé cet été deux semaines dans sa voiture sur le parking de la piscine municipale (il y a des douches dans les piscines). Raison ? Un divorce. Elle n’a plus les moyens de se loger, personne pour se porter caution. Après intervention de la mairie, elle obtient un studio ici, loyer plein pot. Elle s’en sort tout juste, mais s’en sort. Sauf que ses affaires attendent dans un garage et qu’elle espère trouver plus grand au même prix pour pouvoir enfin s’installer dans un chez soi digne de ce nom. En vain, bien sûr : primo, les bailleurs ne « bradent » pas leur bien, et, dans la région on peut toujours courir après un « loyer modéré », rien n’a été construit pour les « pauvres », la mairie préférant payer des amendes. Son élèctorat serait-il majoritairement composé de bailleurs soucieux de ne pas "brader" leur bien ? Probablement, vu qu'on trouve normal ici de louer des studio au prix d'un demi mois de salaire de base, et des T3 au double si ce n'est plus...
Elle loue au mois et peut donc, comme la retraitée ci-dessus et le jeune ci-dessous, être mise à la porte du jour au lendemain, au premier retard de loyer. Or, comme elle a emprunté pour s’acheter une voiture, outil indispensable pour se rendre la nuit au guichet de l'autoroute (et pour ne pas dormir tout à fait dans la rue), elle a aussi les traites de la voiture à rembourser. Avec le loyer, elle ne s’en sort pas. Elle a donc deux mois de retard. Heureusement elle a trouvé un second travail de jour…
Un jeune homme (trentaine) à l'étage en dessous, est à peu près dans la même situation, vient-elle de découvrir. Sauf que, lui, n’a pas pu « profiter » d’un squat amical et s’est retrouvé et sans toit et sans rien à manger… La rue, pas de quoi se nourrir, entrer dans une boulangerie, pour s’acheter une demi baguette. La faim et la honte témoigne-t-il, ça vous pousserait au vol… Il s’est retenu. Mais l’humain, lui, il n’y croit plus du tout… Et, tout comme elle, il pourrait bien se retrouver à la rue une seconde fois. Parce que du travail, il n’y en a pas ! ( Enfin si, distributeur de presse à 2 euros de l’heure comme l'avait fait ma copine. 2 euros de l'heure, sous couvert de "forfait"...). Elle me raconte tout cela... Et me dit n'avoir pas révélé sa propre situation au jeune-homme...
Enfin j’ai moi-même passé un mois à « errer » d’un toit « amical » à l’autre, dont un matelas dans un studio en chantier, vu que, pareil, je n’avais personne pour se porter caution. Pas de « rue » donc, mais n’ayant rien occulté de ma situation, j’y ai perdu la moitié de mes amis au bas mot (alors qu'elle était moins dramatique). M'en cacher aurait probablement mieux valu du point de vue social, parce que voir son réseau s'effondrer augmente et le sentiment de précarité et les occasions de rebondir. Mais pour ce qui est des "amis", au fond, non : ça rend lucide.
Bref la misère gagne et ne se voit pas. En France on est silencieusement passé de "classe laborieuses, classes dangereuses", à "classes miséreuses, classes honteuses".
Donc, rassurez-vous braves gens : aucune "explosion sociale" en vue. On implose, c'est tout (on tombe malade, on se suicide, on part en Afrique...)
Suite probable au prochain numéro, après enquête.