Désespérée de pouvoir me loger avec mon "petit" capital, venant de perdre ce qui me restait de boulot, je tombe sur une annonce de vente aux enchères. Je téléphone et n'en crois pas mes oreilles. Je suis la seule à avoir appelé, donc le bien proposé à 125.000 devrait partir à 140.000.
Sauf que voilà nous sommes au mois d'août, la vente est pour septembre, impossible de l'anticiper, et à la rentrée, il y aura probablement du monde.
Je vais guillerette à la première visite... Il régnait dans l'appartement une de ces odeurs de crabe ! Berk! Mais bon, j'avais retiré les sous de mon assurance-vie et, encouragée par quelques amis encore confiants, je vais tout de même à la vente
Coïncidence ? On me donne le numéro un et je me choisis une place présidentielle, me disant qu'après tout, peut-être que la chance serait de mon côté. Bien que... Bien que nous soyons une quarantaine à nous observer de biais.
Un premier bien est mis aux enchères. Je repère un petit groupe d'acheteurs l'air sûrs d'eux, d'évidence complices. Mais bon, rien de grave, ce n'est pas le bien que je vise.
Enfin l'enchère commence. Du petit groupe part un tonitruant "140", suivi d'un non moins tonitruant "150", qu'un compère d'en face rallonge à "160". En 5 secondes tous les autres enchérisseurs sont rétamés... Sauf deux. Et là !
Tandis que les pauvres péquins de mon espèce attendent sagement tassés sur leur siège la fin de l'histoire pour récupérer leur chèque, deux mâles commencent à s'affronter. On monte à 180 puis 182, puis 184, puis 186, pour 188, puis 190, pour 192, puis 194, puis 196, puis 198, puis 200, puis 202, puis 204, puis 206, puis 208, puis 210, puis 212... Quelques regards mi-amusés mi-sidérés s'échangent entre les pauvres péquins... 230, 232, 234, 236, 240, 242, 244... Les regards cette fois oscillent entre sidération et écœurement (pour rappel, les frais s'élèvent à 15%) .... 246, 248, 250, 252, 254...
J'assiste stupéfaite à la résurgence de formes archaïques de virilité où bourses replètes valent mieux que verge turgescente (point de vue masculin, sans doute)... En attendant, ce retour au primat de la reproduction ne dispense pas les mâles d'essoufflement : le rythme auquel ils continuent péniblement à gonfler leurs bourses devant les péquins, ralentit : 256... 258... 260... 262... 264... 264.000.
Et ouf ! On va enfin pouvoir sortir de la salle...
264.000 plus 15% font 305.000 euros. Pour un T2 avec gros travaux...
N'importe quoi !
A la sortie brève discussion avec les marchands de biens : ils sont désespérés, car ils n'arrivent plus à acheter quoique ce soit, l'un deux est en déficit de 450.000 euros. Est-ce que je me rends compte de leur dramatique situation ?
Non. Ces chiffres me dépassent. Moi à 300 euros de découvert, me voilà traquée comme souris entre pattes de chat et je banque. Par contre, ils m'informent comme malgré eux que le "c'est la reprise, madame la Marquise" est pur mensonge...
D'ailleurs, à la sortie je discute avec un jeune homme. Comment font les jeunes aujourd'hui pour juste survivre ? Lui, aujourd'hui, il a essayé d'acheter une cave pour se loger ! (En vain, les marchands de biens lui sont passés devant). Alors ? Alors, et bien pourquoi pas partir acheter du terrain et construire des locaux à l'étranger pour aider les entreprises françaises à délocaliser. Il faut juste passer le cap, c'est très juteux... Mieux que de devoir vivre dans une cave louée à prix d'or par des vieux soucieux de leur retraite, en tout cas ! Il a 22 ans, je l'encourage.
Tandis que nous devisons ainsi, le monsieur grosse bourse qui vient de se fendre de 300.000 euros sort, passe et nous sourit en haussant les épaules. "On verra" dit-il. Je n'ai pas pu m'enpêcher de lui dire ce que je pensais : "C'est n'importe quoi, monsieur..."
Réponse désinvolte : "Oh, je ne voulais pas laisser mes sous à la banque. C'est un investissement..." Ah. Donc, ce n'est même pas pour se loger ? Nous ne vivons pas, mais alors pas du tout, dans le même monde...
Je n'ai pas pu m'empêcher non plus de lui dire que dans 10 ans ça ne vaudrait probablement pas grand chose. Il a contredit : "Ici, non, ça ne baissera jamais"... C'est sûr, on voit dans la région le bronze-cul de tous les retraités d'Europe... Sauf que les petites mains, elles, vont s'en aller voir ailleurs. Et que sans "services" les retraités préfèreront le Maroc, la Roumanie ou la Thaïlande.
Concurrence oblige.
Une révolution en Europe ? Non. Ce qui est en route c'est une désertion.
D'ailleurs comme me l'a confirmé le jeune homme, une révolution implique un ennemi repéré, or, aujourd'hui : " se battre ? Mais contre qui ?" Ben, personne. Des voix sans sujet.